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Lettre d’information en droit public du 1er semestre 2022

Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint, quelques éléments d’actualité juridique en droit public.

I. ACTUALITÉ EN DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Évaluation environnementale – clause filet – Décret n° 2022-422 du 25 mars 2022

Le décret n°2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets met en place la « clause filet ».
Ce nouveau dispositif permet de soumettre à évaluation environnementale les « petits » projets dont l’importance les place en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l’article R122-2 du Code de l’environnement.

L’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation peut désormais soumettre à l’examen au cas par cas tout projet, y compris ceux situés sous les seuils de l’annexe à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, lorsque le projet lui apparait susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l’article R. 122-3-1 du Code de l’environnement.

A défaut, le maître d’ouvrage peut également – de sa propre initiative – saisir l’autorité environnementale d’une demande d’examen au cas par cas, même si son projet se situe en deçà des seuils de l’annexe à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement.

Ce nouveau dispositif est applicable aux premières demandes d’autorisations ou déclarations d’un projet déposées à compte du 27 mars 2022.

II. ACTUALITÉ EN DROIT DES CONTRATS PUBLICS

Attention au respect du principe d’égalité de traitement entre les candidats

« 4. Il résulte de l’instruction, notamment d’un procès-verbal d’audition du 9 février 2018 établi dans le cadre de l’enquête préliminaire mise en œuvre à la suite de la plainte de la société requérante et soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de la présente instance, qu’une réunion a été organisée à Bordeaux le 6 novembre 2015 au cours de laquelle le président de la société Icare, membre du groupement attributaire du marché en litige, a indiqué aux personnes présentes, en particulier au chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes, être en mesure de mettre à disposition de l’armée de l’air un hélicoptère civil de type H225. Ces deux personnes sont restées en contact après cette réunion, plusieurs échanges ayant eu lieu entre elles ultérieurement. Si le président de la société Icare a nié l’intérêt de ces échanges pour l’obtention du marché, il n’est pas sérieusement contesté que le groupement attributaire a reçu des informations précises sur les critères techniques et financiers du futur marché plusieurs mois avant la publication de l’avis de marché, le 23 avril 2016, la société Héli-Union n’ayant eu de son côté qu’un mois pour préparer son offre. Les notes retrouvées lors d’une perquisition confirment d’ailleurs que le président de la société Icare disposait depuis plusieurs mois d’informations précises sur les attentes du commandement des forces aériennes et connaissait en réalité la quasi-intégralité des besoins techniques et des conditions financières du marché à venir. Par ailleurs, il n’est pas contesté que, tout en livrant ces informations, le chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes a suivi la préparation du marché, en rédigeant l’expression des besoins du pouvoir adjudicateur en qualité de prescripteur technique.

5. Dans ces conditions, alors même que l’existence de ces échanges d’informations n’a pas été révélée au service spécialisé de la logistique et du transport du service du commissariat des armées chargé de lancer la consultation ayant abouti à la signature du marché en litige, la société Héli-Union est fondée à soutenir que les graves irrégularités qui en résultent ont porté atteinte au principe d’égalité entre les candidats, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 juin 2021 condamnant les protagonistes a été contesté en appel. »

En ce sens : CAA VERSAILLES, 16 juin 2022, n°19VE03858

Sont des biens de retour dans la convention portant sur l’exploitation touristique et culturelle des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne, les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat, les décors créés pour permettre l’organisation de la manifestation « Grands Jeux Romains » :

« S’agissant des demandes tendant à la restitution des biens de retour :

10. En premier lieu, d’une part, il résulte de l’article 6.2 du contrat de délégation de service public que, à la fin de la convention, la commune de Nîmes aura l’usage du film visé à l’article 18 de la convention, à savoir un  » nouveau film de la Maison Carrée « . Il résulte de ces stipulations mêmes, sans que cette interprétation se heurte à une contestation sérieuse, que les parties ont, en tout état de cause, entendu prévoir que le film relatif à la Maison carrée dont l’article 18 du contrat mettait la production à la charge du concessionnaire devait faire retour à la personne publique.

11. D’autre part, la commune de Nîmes fait valoir que la restitution de ce film permettra au nouveau délégataire de préparer la réouverture prochaine au public de la Maison carrée. Cette restitution présente ainsi un caractère d’urgence et d’utilité. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre à la société Culturespaces de restituer le support de ce film à la commune de Nîmes.

12. En deuxième lieu, selon l’article 1.1 du contrat de délégation de service public,  » la convention a pour objet l’octroi d’une délégation de service public, qui comporte, d’une part, la gestion globale des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation des Arènes, de la Maison Carrée et de la Tour Magne (…) « . Aux termes de son article 1.2, relatif aux missions confiées au délégataire, il incombe à ce dernier, notamment, d’assurer la promotion des monuments, la communication et la  » commercialisation touristique régionale, nationale et internationale autour des monuments objet de la présente délégation « . L’article 19.2 du contrat met à la charge du délégataire la communication et la promotion  » via les réseaux sociaux « .

13. Les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat étant nécessaires au fonctionnement du service public tel qu’institué par la commune de Nîmes, ils doivent lui faire retour gratuitement au terme du contrat. Si la société Culturespaces soutient que les dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel y feraient obstacle, ces dispositions ne s’opposent pas, par elles-mêmes, au transfert ou à la mise à disposition des droits d’administration de pages des réseaux sociaux, et impliquent seulement, à supposer que ce transfert ou cette mise à disposition emportent la communication de données à caractère personnel, que les obligations qui s’attachent à une telle communication soient respectées.

14. Il résulte de l’instruction que l’exploitation des pages en cause a été interrompue, alors qu’elles constituent, par leur ancienneté et les communautés d’abonnés qu’elles réunissent, un élément important de la valorisation des monuments, que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement. La restitution des droits d’accès aux pages en question revêtant donc un caractère d’utilité et d’urgence, il y a lieu d’enjoindre à la société Culturespaces d’y procéder.

15. En troisième lieu, l’article 1.2 du contrat de délégation de service public met à la charge du délégataire  » la création de contenus culturels, d’animations, d’événements et de spectacles (…) notamment l’organisation annuelle des « Grands Jeux Romains » « . Les décors créés pour permettre l’organisation de cette manifestation, dont le délégataire soutient d’ailleurs qu’ils sont spécifiquement liés à cet événement et à sa marque, ont été nécessaires au service public à un moment donné de l’exécution de la convention et doivent en conséquence, alors même qu’ils ne le seraient plus aujourd’hui comme le soutient la société Culturespaces, faire retour gratuitement à la commune de Nîmes.

16. Ni la circonstance que l’appellation  » Grands Jeux romains  » serait protégée par une marque déposée par la société Culturespaces, inopérante en tout état de cause dès lors que la demande de la commune de Nîmes porte seulement sur les décors utilisés pour l’organisation de la manifestation correspondante, ni les stipulations de l’article 20 du contrat, lesquelles ne sauraient exclure l’application du régime des biens de retour ainsi qu’il a été dit au point 5, ne peuvent faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la collectivité publique.

17. Aucune des circonstances qu’invoque la société Culturespaces, mentionnées aux points 15 et 16 ne s’oppose, en l’espèce, à la caractérisation de l’urgence ou de l’utilité des mesures sollicitées, la commune de Nîmes faisant valoir à cet égard que la restitution des décors pourra permettre au nouveau délégataire d’organiser les nouvelles animations qui lui incombent à brève échéance. Il s’ensuit qu’il doit être enjoint à la société Culturespaces de restituer les décors des  » Grands Jeux romains  » à la commune de Nîmes. »

En ce sens : CE, 16 mai 2022, n°459904, Commune de Nîmes

III. ACTUALITÉ EN DROIT DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

Assouplissement de la règle du désistement d’office après un référé suspension

Dans un arrêt du 24 juin 2022 (n° 460898), le Conseil d’État est venu, d’une part, rappeler la nécessité de confirmer la requête au fond en cas d’échec d’un référé suspension et, d’autre part, explicitement préciser que la production d’un mémoire dans le cadre de la procédure au fond vaut une telle confirmation.

Dans cette affaire, les requérants ont demandé au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

Parallèlement, ils avaient également demandé la suspension de l’exécution de ce même décret sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative.
Ce référé suspension a été rejeté par une ordonnance n° 454754 du 26 juillet 2021 au motif qu’aucun des moyens présentés n’était propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

Par une ordonnance n° 454752 du 30 novembre 2021, le président de la 10ème chambre a, sur le fondement de l’article R.612-5-2 du code de justice administrative, donné acte du désistement d’instance au motif que, bien qu’informés, dans la notification de l’ordonnance de référé, qu’il leur appartenait, à peine de désistement d’office, de confirmer expressément, dans le délai d’un mois, le maintien de leur requête au fond, les requérants n’avaient fait parvenir aucune confirmation du maintien de celle-ci.

Par une nouvelle requête, l’un des requérants a demandé au Conseil d’État de :

  • Réviser, ou subsidiairement, rectifier pour erreur matérielle et, en tout état de cause, de déclarer nulle et non avenue l’ordonnance du 30 novembre 2021 ;
  • De poursuivre l’instruction de sa requête ;
  • De mettre à la charge de l’État une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Dans un premier temps, la Haute Juridiction a rappelé que :

  • L’article R.834-1 du code de justice administrative dispose que « Le recours en révision contre une décision contradictoire du Conseil d’État ne peut être présenté que dans trois cas :
    1. Si elle a été rendue sur pièces fausses ;
    2. Si la partie a été condamnée faute d’avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire ;
    3. Si la décision est intervenue sans qu’aient été observées les dispositions du présent code relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences, ainsi qu’à la forme et au prononcé de la décision » ;
  • Le premier alinéa de l’article R.833-1 du même code prévoit que : « Lorsqu’une décision () du Conseil d’État est entachée d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification » ;
  • Le recours en rectification d’erreur matérielle ouvert par cet article présente un caractère subsidiaire par rapport au recours en révision et n’est recevable que si son objet ne peut être atteint par l’exercice de ce dernier ;
  • L’article R.612-5-2 du code de justice administrative dispose qu’ « En cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est exercé contre l’ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation dans un délai d’un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s’être désisté. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté ».

Dans un second temps, le Conseil d’État a considéré, de manière assez novatrice, qu’ « Il résulte de ces dispositions que, pour ne pas être réputé s’être désisté de sa requête à fin d’annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit, si cette demande est rejetée au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation, dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance du juge des référés, sous réserve que cette notification l’informe de cette obligation et de ses conséquences et à moins qu’il n’exerce un pourvoi en cassation contre l’ordonnance du juge des référés. Il doit le faire par un écrit dénué d’ambiguïté. S’il produit, dans le délai d’un mois, un nouveau mémoire au soutien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation, ce mémoire vaut confirmation du maintien de cette requête ».

Dans un troisième temps, en faisant application de cette nouvelle règle au cas d’espèce, la Haute Juridiction a relevé et considéré que :

  • Il ressort des pièces du dossier que les requérants ont produit un mémoire dans le cadre de la procédure au fond le lendemain de la notification de l’ordonnance de référé rejetant leur demande présentée sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative ;
  • La production de ce mémoire valait confirmation du maintien de leur requête en annulation ;
  • Il ne pouvait par suite être fait usage de l’article R.612-5-2 du code de justice administrative précité pour donner acte de leur désistement ;
  • La circonstance qu’il ait été donné acte du désistement d’un requérant en application des dispositions de cet article alors que celui-ci avait confirmé le maintien de sa requête dans le délai imparti n’est pas de nature, même lorsqu’il a été donné acte de ce désistement par une ordonnance, à ouvrir droit à la révision, sur le fondement de l’article R.834-1 du code de justice administrative, de la décision du Conseil d’État donnant acte du désistement ;
  • Elle constitue en revanche une erreur matérielle qui ne peut être regardée comme insusceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision et qui est imputable, non aux requérants, mais au juge ;
  • Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions du requérant tendant à la rectification pour erreur matérielle de l’ordonnance attaquée sont recevables et que cette dernière doit être déclarée non avenue en tant seulement qu’elle donne acte de son désistement, le requérant n’était pas recevable à demander la réformation de l’ordonnance attaquée en tant que la requête sur laquelle elle statue émane des autres requérants ;
  • Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de rouvrir l’instruction.

Le Conseil d’État vient donc sanctionner l’usage un peu trop rapide de l’article R.612-5-2 du code de justice, par lui-même, et prévoir explicitement que la production d’un mémoire vaut confirmation du maintien de la requête, ce que certaines juridictions avaient déjà implicitement admis.

IV. ACTUALITÉ EN DROIT DE L’URBANISME

1. Procédure contentieuse – suppression de l’appel en zone tendue – Décret n° 2022-929 du 24 juin 2022

La suppression du degré d’appel pour les contentieux concernant des permis de construire, de démolir ou d’aménager portant sur des opérations de logements situés dans les zones dites « tendues » vient d’être prolongée jusqu’au 31 décembre 2027 par le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022.

Le décret du 24 juin 2022 limite néanmoins le dispositif aux opérations concernant trois logements et plus.

En revanche, le décret étend la suppression du degré d’appel pour les contentieux relatifs :

  • Aux actes de création et d’approbation du programme des équipements publics des ZAC, portant principalement sur la réalisation de logements et qui sont situées en tout ou partie en zone tendue ;
  • A des décisions prises en matière environnementale relatives à des actions ou opérations d’aménagement situées en tout ou partie en zone tendue et réalisées dans le cadre des grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou d’opérations d’intérêt national (OIN). Ces actions ou opérations pourront notamment être susceptibles de favoriser le développement de l’offre de logements et le renouvellement urbain.

Enfin, le décret modifie les dispositions du Code de l’urbanisme qui fixent à dix mois le délai de jugement des contentions contre les permis de construire des logements collectifs (trois logements et plus) pour étendre le bénéfice de la mesure aux refus d’autorisation d’urbanisme.

2. Lotissement

2.1. Cahier des charges d’un lotissement, modification

CE, 1er juin 2022, req. n°443808.

Le Conseil d’État a rappelé que, pour modifier le cahier des charges d’un lotissement (la procédure nécessitant de recueillir une double majorité de constituée de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie), dans un cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, et comporte des lots affectés à d’autres usages que l’habitation, il y a lieu, d’une part, de compter pour une unité l’avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu’il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, et d’autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu’il s’agisse ou non de lots destinés à la construction d’habitations, à l’exclusion des surfaces des lots affectés à d’autres usages.

2.2. Cristallisation des règles d’urbanisme.

CE, 31 janvier 2022, req. n°449496.

L’autorité compétente ne peut légalement surseoir à statuer sur une demande de permis de construire présentée dans les cinq ans suivant une décision de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement au motif que la réalisation du projet de construction serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

3. PLU, adaptations, dérogations

3.1. Dérogation au PLU et permis de construire

CE, 12 mai 2022, req. n°453502.

Lorsque l’autorité administrative compétente, se prononçant sur une demande d’autorisation d’urbanisme, ne fait pas usage d’une faculté qui lui est ouverte par le règlement d’un plan local d’urbanisme d’accorder ou d’imposer l’application d’une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s’assurer que l’autorité administrative n’a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d’erreur manifeste d’appréciation.

3.2. Servitude de cours communes

CE, 17 mars 2022, req. n°447456.

Par les dispositions de l’article L. 471-1 du code de l’urbanisme, le législateur a entendu que l’institution d’une servitude de cour commune puisse, même en l’absence de mention explicite dans le plan local d’urbanisme, permettre de garantir le respect des règles de prospect posées par ce plan et relatives à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives. Il appartient à l’autorité administrative, saisie d’une demande de permis de construire ou d’une déclaration préalable, d’apprécier la légalité du projet en tenant compte des effets qu’attachent l’article L. 471-1 du code de l’urbanisme ou, le cas échéant, les prescriptions particulières légalement édictées que comporte un plan local d’urbanisme, à l’existence d’une servitude dite de  » cour commune  » sur le terrain d’assiette du projet ou un terrain voisin. En revanche, une telle servitude n’est pas, par elle-même, opposable à la demande d’autorisation.
Par suite, le requérant ne peut invoquer, pour contester un permis de construire, la méconnaissance d’une servitude de cour commune grevant la parcelle d’assiette du projet.

4. Contentieux de l’urbanisme

4.1. Suppression du degré d’appel

CE, 26 avril 2022, req. n°452695.

La suppression temporaire de l’appel pour les recours introduits contre certaines autorisations d’urbanisme en zone tendue (art. R. 811-1-1 du CJA) s’étend aux recours contre les retraits de ces autorisations et contre les refus de retrait mais non aux recours contre les certificats de conformité.

4.2. Cristallisation des moyens.

CE, 8 avril 2022, req. n°442700.

Lorsqu’un moyen nouveau est présenté après la cristallisation automatique des moyens (art. R. 600-5 du code de l’urbanisme), le juge peut toujours fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens. Il est tenu de le faire lorsqu’une circonstance de fait ou un élément de droit, dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction, est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire.

4.3. Sursis à statuer pour régulariser.

CE, 16 février 2022, req. n°420554.

Si, à l’issue du délai qu’il a fixé dans sa décision avant dire droit pour que lui soient adressées la ou les mesures de régularisation du permis de construire attaqué, le juge peut à tout moment statuer sur la demande d’annulation de ce permis et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué.

4.4. Recevabilité des associations.

Conseil Constitutionnel, 1er avril 2022, décision QPC n°2022-986.

L’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, au terme duquel « Une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » a été, en tant qu’il prévoit un délai d’un an d’existence, déclaré conforme à la constitution.

4.5. Notification des recours, R.600-1 CU.

CE, 24 février 2022, req. n°442835.

Est fondée en droit l’ordonnance de rejet d’une requête fondée sur la seule communication, par le requérant, des accusés de dépôt aux services postaux de ses recours ; le requérant n’ayant pas transmis à la juridiction les courriers et recours considérés.

5. Permis de construire, ERP et « coquilles vides ».

CE, 11 février 2022, req. n°448357.

Le Conseil d’État a rappelé que lorsque l’aménagement intérieur de locaux constitutifs d’un établissement recevant du public, qui nécessite une autorisation spécifique au titre de l’article L. 111-8 du code de la construction et de l’habitation, n’est pas connu lors du dépôt de la demande de permis de construire, l’autorité compétente, dont la décision ne saurait tenir lieu sur ce point de l’autorisation prévue par le code de la construction et de l’habitation, ne peut légalement délivrer le permis sans mentionner expressément l’obligation de demander et d’obtenir une autorisation complémentaire avant l’ouverture au public, et ce alors même que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignerait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation. Une telle omission est, au demeurant, aisément régularisable par un PCM (CE, 11 février 2022, req. n°438414).

V. ACTUALITÉ EN DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE

1. Absence de prise en compte de l’avis du médecin de la prévention

Dans un arrêt du 22 mai 2022 (n°438121), le Conseil d’État a jugé que l’administration commet une faute en ne prenant pas en considération les recommandations d’aménagement de poste formulées par le médecin de la prévention et que le fait que l’avis de celui-ci n’ait pas été repris lors d’une visite de suivi n’exonère par l’employeur public.

Dans cette affaire, la requérant a demandé au Tribunal administratif de Bordeaux de condamner le SMICTOM Lot-Garonne-Baïse à lui verser la somme de 7 585 euros en réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis du fait de l’accident de service dont il a été victime le 5 octobre 2015.

Par un jugement n°1800439 du 19 décembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le SMICTOM Lot-Garonne-Baïse à verser au requérant la somme de 1 330 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2017, mis à la charge du SMICTOM la somme de 840 euros au titre des frais d’expertise et rejeté le surplus de la demande du requérant. Par une ordonnance n° 19BX00606 du 28 janvier 2020, la Présidente de la Cour administratif d’appel de Bordeaux a transmis au Conseil d’État, sur le fondement de l’article R.351-2 du code de justice administrative, le pourvoi.

Dans un premier temps, la Haute Juridiction a commencé par relever qu’il ressortait des pièces du dossier que le requérant, adjoint technique de deuxième classe au sein du SMICTOM Lot-Garonne-Baïse exerçait les fonctions de conducteur de camion de collecte des déchets jusqu’au 5 octobre 2015, date à laquelle il a été affecté sur des fonctions de collecte manuelle des ordures ménagères et qu’à la suite d’un accident survenu, alors qu’il soulevait une poubelle, au cours du service le jour même où il prenait ses nouvelles fonctions, le requérant a demandé que soit ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été déposée le 6 juillet 2017, avant de solliciter le versement, par le défendeur, d’une somme de 7 585 euros au titre des préjudices qu’il estimait avoir subis à raison de cet accident.

Dans un second temps, les juges ont rappelé que :

  • L’article 2-1 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale dispose que : « Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. » ;
  • L’article 11 du même décret prévoit que : « I.- Les missions du service de médecine préventive sont assurées par un ou plusieurs médecins (…) / Les médecins peuvent être assistés par du personnel infirmier et, le cas échéant, par du personnel de secrétariat médico-social. (…) / L’équipe pluridisciplinaire ainsi constituée est placée sous la responsabilité de l’autorité territoriale ; elle est animée et coordonnée par le médecin de prévention » ;
  • L’article 24 de ce même décret dispose notamment que : « Les médecins du service de médecine préventive sont habilités à proposer des aménagements de poste de travail ou de conditions d’exercice des fonctions, justifiés par l’âge, la résistance physique ou l’état de santé des agents. / Ils peuvent également proposer des aménagements temporaires de postes de travail ou de conditions d’exercice des fonctions au bénéfice des femmes enceintes. / Lorsque l’autorité territoriale ne suit pas l’avis du service de médecine préventive, sa décision doit être motivée et le comité d’hygiène ou, à défaut, le comité technique doit en être tenu informé (…) ».

Sur le fondement de ces articles, ils ont considéré que :

  • Il appartient aux autorités administratives, qui ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d’assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions qui ont cet objet ;
  • A ce titre, il leur incombe notamment de prendre en compte, dans les conditions prévues par l’article 24 du décret précité, les propositions d’aménagement de poste de travail ou de conditions d’exercice des fonctions justifiées par l’âge, la résistance physique ou l’état de santé des agents, que les médecins du service de médecine préventive sont seuls habilités à émettre.

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, la Haute Juridiction a jugé que le Tribunal administratif de Bordeaux a inexactement qualifié les faits : « 4. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a relevé que si la fiche de visite médicale périodique établie par le médecin du service de médecine préventive le 15 juin 2011 concluait à la compatibilité entre le poste de M. B… et son état de santé sous réserve de l’absence de collecte manuelle des déchets, l’attestation de suivi établie par l’infirmier le 19 mai 2012, lors de la dernière visite de prévention précédant l’accident de service, se bornait à mentionner comme seules restrictions le port de protections auditives et la vaccination contre certaines maladies. En déduisant de ces constatations que, le service de médecine préventive n’ayant pas recommandé l’affectation de M. B… sur un poste n’impliquant pas la collecte manuelle de déchets, aucune faute ne pouvait être retenue à l’encontre du SMICTOM, alors que les observations formulées sur l’attestation de suivi infirmier ne sauraient remettre en cause les propositions d’aménagements de poste de travail ou de conditions d’exercice des fonctions émises par le médecin, le tribunal a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».

Avec cet arrêt, le Conseil d’État encourage donc l’administration a convenablement prendre en considération les recommandations du médecin de la prévention, ce qui n’est pas vraiment le cas en pratique.

2. Prime de revalorisation

Le décret n° 2022-728 du 28 avril 2022 relatif au versement d’une prime de revalorisation à certains personnels relevant de la fonction publique territoriale est venu prévoir la possibilité pour l’organe délibérant d’une collectivité ou d’un établissement public d’instituer une prime de revalorisation, d’un montant correspondant à 49 points d’indice majoré, au bénéfice de certains agents territoriaux relevant des cadres d’emplois de la filière sociale et médico-sociale et exerçant à titre principal les fonctions d’accompagnant socio-éducatifs.

Sont principalement concernés :

  • Les agents territoriaux qui exercent leurs fonctions au sein des CCAS/CIAS, des services départementaux de l’ASE/PMI et des établissements et services sociaux-éducatifs énumérés à l’article L.312-1 du code de l’action sociale et des familles ;
  • Les agents territoriaux qui exercent des missions d’aide à domicile à des personnes âgées ou handicapées au sein des services d’aide et d’accompagnement à domicile.

3. Temps de travail des agents des collectivités locales – transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité

L’article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a supprimé la possibilité pour les collectivités locales de maintenir un régime de temps de travail dérogatoire en vertu duquel les agents pouvaient travailler moins de 1607 heures annuelles.

Celui-ci a donc permis d’harmoniser la durée du travail dans le fonction publique territoriale en supprimant les régimes dérogatoires et a donné aux collectivités un délai de douze mois afin de définir des nouvelles règles relatives au temps de travail des agents en précisant que ce délai commence à courir, d’une part, pour les collectivités territoriales de chaque catégorie, leurs groupements ainsi que les établissements publics qui y sont rattachés, à la date du renouvellement général des conseils des collectivités de cette catégorie et, d’autre part, pour les autres établissements publics (syndicats mixtes ouverts, CNFPT, Centre de Gestion), à la date du prochain renouvellement de l’assemblée délibérante ou du conseil d’administration :

« I.-Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d’un délai d’un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition.
Le délai mentionné au premier alinéa du présent I commence à courir :
1° En ce qui concerne les collectivités territoriales d’une même catégorie, leurs groupements et les établissements publics qui y sont rattachés, à la date du prochain renouvellement général des assemblées délibérantes des collectivités territoriales de cette catégorie ;
2° En ce qui concerne les autres établissements publics, à la date du prochain renouvellement de l’assemblée délibérante ou du conseil d’administration ».

En l’espèce, devant le Tribunal administratif de Melun, les Communes de BONNEUIL SUR MARNE, de FONTENAY SOUS BOIS, de VITRY SUR SEINE et d’IVRY SUR SEINE, en défense à la demande de la Préfète du VAL DE MARNE tendant, sur le fondement de l’article L.554-1 du code de justice administrative, à la suspension de la décision par laquelle leur Maire avait refusé de soumettre à leur conseil municipal une délibération relative au temps de travail des agents de la commune, ont chacune produit un mémoire en défense, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, à l’occasion duquel elles ont soulevé la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 47 précité de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019.

Par une ordonnance n°2201150 du 3 mars 2022, le Juge des référés du Tribunal administratif de Melun a décidé, sur le fondement de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’État cette question prioritaire de Constitutionnalité.

Le 1er juin 2022 (n° 462193, 462194, 462195, 462196), le Conseil d’État a décidé de transmettre cette question au Conseil Constitutionnel.

Plus précisément :

Le Conseil d’État a commencé par rappelé qu’il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel que « lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’État a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-25 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil Constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstance, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ».

La Haute Juridiction a ensuite cité l’article 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, susmentionné, et l’article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions relatives à la fonction publique territoriale qui, pour rappel, disposait notamment, avant sa suppression et la codification de ses dispositions dans le code général de la fonction publique, que : « Les règles relatives à la définition, à la durée et à l’aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 sont fixées par la collectivité ou l’établissement, dans les limites applicables aux agents de l’État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements (…) Les régimes de travail mis en place antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale peuvent être maintenus en application par décision expresse de l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement prise après avis du comité social territorial, sauf s’ils comportent des dispositions contraires aux garanties minimales applicables en matière de durée et d’aménagement du temps de travail ».

Enfin, le Conseil d’État a considéré que les dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 remplissent les trois conditions susvisées et a donc décidé de transmettre la QPC au Conseil Constitutionnel : « Les dispositions de l’article 47 de la loi du 2 août 2019 de transformation de la fonction publique sont applicables aux litiges au sens et pour l’application des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elles portent à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d’intérêt général soulève une question qui peut être regardée comme nouvelle au sens de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».

C’est donc notamment sur le fondement d’une possible atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle que le Conseil d’Etat a décidé de transmettre la QPC au Conseil Constitutionnel afin qu’il apprécie la conformité à la Constitution de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Les régimes dérogatoires n’ont donc peut-être pas dit leur dernier mot. Affaire à suivre !

Note d'actu 1er semestre 2022